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« Sans Vatican II, l’implosion à laquelle on assiste aujourd’hui aurait eu lieu bien plus tôt, et en pire ». Jean-Louis Schlegel, La Croix le 11.10.2022

tribune
Jean-Louis Schlegel
Philosophe, sociologue des religions
À l’occasion des 60 ans de Vatican II, Jean-Louis Schlegel revient sur ses « promesses non tenues » et certaines critiques dont il peut faire l’objet. Il réfute l’hypothèse d’un concile qui aurait aggravé la situation du catholicisme ; selon lui, « il n’y a pas eu trop de concile Vatican II, mais trop peu ».

Jean-Louis Schlegel, le 11/10/2022 à 17:54
Lecture en 5 min.
« Sans Vatican II, l’implosion à laquelle on assiste aujourd’hui aurait eu lieu bien plus tôt, et en pire »
Le 17 octobre 1963, Paul VI recevait presque sans protocole les observateurs non catholiques au Concile. On remarquera à droite du Saint-Père le cardinal Bea, président du secrétariat pour l’Unité des chrétiens. À la demande du pape et ensemble avec lui, tous les observateurs récitèrent, chacun dans sa langue le « Notre-Père ».

Le dimanche 14 octobre 1962, deux jours après l’ouverture du concile Vatican II, paraît dans La Croix un article enthousiaste de François Mauriac, intitulé « L’Accélération de la grâce ». Pour lui, ce qui s’est ouvert est avant tout le XXIe concile « œcuménique », celui des Églises chrétiennes désunies et « l’aube de leur réconciliation ». En témoignent les «frères venus à Saint-Pierre comme observateurs ». Certes, Mauriac s’empresse, sans surprise, de préciser qu’il ne voit cette unité que dans le retour à l’Église de Pierre «dont les autres se sont détachés ». Mais retenons d’abord ici son allégresse d’avoir vu naître une immense espérance « en voie d’accomplissement ».

Les promesses non tenues du concile
Soixante ans après, où en sommes-nous ? Alors qu’une petite minorité de catholiques hurlait dès le concile à la « protestantisation » de l’Église – et continue de le faire en toute occasion –, on est bien obligé de constater que la réunion des « brebis de toutes les bergeries » n’a pas eu lieu : malgré des avancées théologiques, la réconciliation pleine et entière n’a toujours pas été actée « en haut », tandis qu’« en bas » nombre de catholiques, de protestants et d’orthodoxes la pratiquent tranquillement, y compris dans l’intercommunion. Si Mauriac aurait certainement invité à la patience devant le « ralentissement de la grâce », il faut bien le dire : nombre de catholiques, conciliaires ou non, ont tendance à penser que c’est l’Église catholique, avant tout soucieuse du retour des autres dans son giron, qui porte la responsabilité inacceptable de la non-réconciliation.

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D’autant plus que ce n’est pas la seule « décélération » postconciliaire : l’échec relatif des espérances œcuméniques est comme la métaphore d’autres paralysies, d’autres promesses non tenues de Vatican II. Ce n’est pas que l’Église soit demeurée ou devenue préconciliaire : quelles que soient les nouvelles inflexions, les manques ou les ambiguïtés apparues depuis 1965, elle est et reste conciliaire par l’importance donnée à l’Écriture sainte et à la parole de Dieu, à l’Église comprise comme « peuple de Dieu » ; par sa relation avec les autres religions, par l’approfondissement encore et encore de ses liens avec le judaïsme et de son passé avec lui ; aussi à travers le dialogue fraternel avec les autres chrétiens, la liberté religieuse affirmée, la rencontre amicale avec le monde moderne, et bien sûr la liturgie, dont la visée centrale est, nonobstant certaines apparences contraires actuelles, la « participation pleine et active de tout le peuple » (Constitution sur la liturgie, § 14).

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Les tensions anciennes et récentes apparues dans l’interprétation de ces thèmes centraux de Vatican II n’ont pas effacé le tournant – mieux : la rupture historique qu’il a représentée.

Vin nouveau et vieilles outres
D’où vient alors le malaise ? Qu’est-ce qui a manqué dans sa réalisation ? Je le résumerais volontiers à travers une expression évangélique bien connue : le vin nouveau du concile a été versé dans de vieilles outres. La nouveauté conciliaire présente dans les grandes constitutions et décrets ne s’est pas traduite par des réformes de l’institution et n’a pas été transcrite dans le droit de l’Église. Bien au contraire, on a assisté en de nombreux domaines à des « restaurations » – le mot malheureux prononcé en 1984 par le cardinal Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi.

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Faut-il s’étonner que les récentes « remontées synodales » (issues de la consultation des fidèles) évoquent fortement, avec parfois quasiment les mots de Vatican II, le trop de pouvoir ici, l’absence de pouvoir là, c’est-à-dire, très concrètement, l’inégalité des baptisés, la différence excessive entre prêtres (resacralisés) et laïcs, l’obligation du célibat des prêtres et l’exclusion, de plus en plus choquante, des femmes de toute fonction ou décision religieuse importante, alors qu’elles sont omniprésentes dans le service de l’Église ? Il ne s’agit pas ici de revendications mondaines, mais de fidèles marqués par un monde séculier où l’Église est absente, angoissés par sa disparition accélérée sur de vastes territoires, scandalisés aussi par la révélation de la pédocriminalité et des abus sexuels de prêtres et de fondateurs de communautés nouvelles. L’entre-soi d’une caste cléricale, détentrice exclusive de l’action et de la parole liturgiques ainsi que du pouvoir dans les communautés, leur est devenu insupportable.

L’ignorance s’accroît
On répondra à bon droit que ce n’est qu’un son de cloche. Il y a toutes celles et ceux qui ne s’expriment pas, et aussi celles et ceux, en particulier des jeunes, qui ne partagent pas ces requêtes des « zombies conciliaires » mais réclament de la verticalité, de la sacralité, des messes « tradis », de l’adoration, des prêtres « séparés » dont le célibat, a-t-on pu lire, serait « une des preuves de l’existence même de Dieu » ! La position de ces jeunes catholiques conservateurs est sans doute celle d’une minorité, sauf qu’ils sont rejoints par une partie importante du jeune clergé et des fidèles encore pratiquants, et se voient volontiers comme l’avenir de l’Église. Implicitement, ils posent ainsi la question de l’avenir du concile Vatican II, de son ignorance qui s’accroît, et finalement de la transmission de sa mémoire.

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Force est de constater que cette transmission a été chahutée voire chaotique. D’un côté, ce qu’il est convenu d’appeler la « crise postconciliaire », avec certains excès dans la contestation de l’autorité et le départ de nombreux prêtres, religieux et religieuses, a suscité une forte réaction « spirituelle », celle du Renouveau charismatique et des communautés nouvelles, vite approuvée par les papes Paul VI et Jean-Paul II.

Selon un colloque récemment tenu à l’université de Louvain, ces mouvances sont apparues comme un cadeau du Ciel pour sauver l’Église… Il est difficile d’imaginer que leur engagement, dès le début, dans les JMJ n’a pas entraîné, pour les « générations Jean-Paul II » et « Benoît XVI », de fortes réserves contre les contestataires de ces deux papes, avant que la « génération zéro » (née après 2000) ne finisse par ignorer à peu près tout d’un concile dans les années 1960.

L’implosion, plus tôt et en pire
Mais les raisons externes de cet oubli sont aussi déterminantes. D’abord, si Mauriac évoquait en 1962 « l’accélération de la grâce », on pourrait aussi bien rappeler l’énorme accélération des changements sociaux durant la seconde moitié du XXe siècle, après Mai 68, que Vatican II, pris dans la vision d’une transformation heureuse du monde, n’avait pas vu venir. L’individualisme, le consumérisme, l’importance de la réalisation personnelle, le retour de la visibilité religieuse défiant le politique, l’affirmation laïque, mais aussi la crise économique durable à partir des années 1970, lui ont été étrangers, et les conciliaires ont trop peu vu les facettes nihilistes de ces évolutions.

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Dans ces conditions, les opposants à Vatican II croient pouvoir affirmer que l’effondrement du catholicisme en France et en Europe aurait été bien moindre si le concile n’avait pas eu lieu. C’est une hypothèse peu crédible, et qui ne mange pas de pain. À mon avis, pour des raisons évidentes, l’implosion à laquelle on assiste aujourd’hui aurait eu lieu bien plus tôt, et en pire, et ma conviction est qu’il n’y a pas eu trop de concile Vatican II, mais trop peu.