Regroupe trois villages: GIGEAN, POUSSAN et MONTBAZIN
Père Bogdan LESKO, curé.

ANNONCES DU 28 MARS au 7 avril 2024

(Historique de l'agenda)

La foi a-t-elle besoin de rites ?

La foi et son langage
Moi, je crois en la médecine. Dans cette affirmation le mot croire signifie faire confiance, compter sur. L’accent est mis sur l’attitude mentale de celui qui parle, sur le mouvement intérieur qui le porte vers l’objet de sa foi. Cet objet, ici la médecine, n’est pas précisé. S’agit-il de médecine douce ? de chirurgie ? de chimiothérapie ? Ainsi quand nous disons je crois en Dieu, formule qui n’est pas équivalente à je crois à Dieu, c’est à dire à son existence, ne précise pas ce que nous entendons par Dieu. Croire en Dieu c’est fonder notre vie sur lui, mettre en lui notre espoir, l’estimer plus important que tout ce qui n’est pas lui. Tout de suite des questions viennent se poser. Qui est Dieu ? Comment est-il ? Quelles relations a-t-il avec nous ? C’est à partir de là que la foi se donne un langage, c’est à dire une théologie ; des manières de se comporter, c’est à dire une morale ; des gestes significatifs, c’est à dire des rites. La foi toute pure se situe d’abord, si l’on peut dire, en deçà du dogme, de l’éthique, de la pratique. C’est pour cela que l’on peut rencontrer de vrais croyants nuis en théologie, fervents de dévotions naïves, ascètes rigoureux ou goûtant avec reconnaissance aux joies de la vie. Cependant cette diversité, en soi légitime et même nécessaire, connaît des limites et aussi un minimum d’obligations décidées par la communauté des croyants à laquelle on appartient. Tout cela fait partie de l’identité d’une famille religieuse.

Au delà de tout nom
Famille religieuse, ai-je écrit. Voici donc lâché le mot reli­gion, qui désigne toutes les paroles et toutes les pratiques par lesquelles la foi s’exprime. Il est bien évident que foi et religion ne coïncident pas. Il fut une période où certains théologiens durcirent cette différence jusqu’à en faire une opposition. Ce qui est excessif ne compte pas et cet extré­misme ne valait pas mieux que celui qu’ils voulaient com­battre, c’est à dire la confusion entre la foi et ce par quoi elle se dit et se vit. Pourquoi cette distance entre les deux ? C’est que la foi s’adresse à Dieu, qui est indicible. Aucun mot, aucune formule ne peut l’exprimer totalement, aucune pratique ne peut nous relier à lui parfaitement. Pas même l’Eucharistie ? Le lien qu’elle veut signifier et établir entre nous et Dieu, et par là entre nous tous, dépend de la foi et de l’amour que nous apportons à sa célébration. Paul dit même que pour certains elle peut être un désastre : Celui qui mange et boit mange et boit sa propre condamnation s'il ne discerne le Corps du Seigneur [1 Corinthiens 11, 29]. Le rite peut donc se pratiquer sans la foi où selon divers degrés de foi. Rien d’automatique, rien de magique. Quand aux noms que nous donnons à Celui qui est, celui qui porte un nom qui dépasse tous les noms possibles, ils ne sont que des manières de parler. On se souvient de ce qu’écrit Saint Justin dans sa Première Apologie : Ces mots : Père, Dieu, Créateur, Seigneur et Maître ne sont pas des noms mais des appellations motivées par ses bienfaits et ses œuvres. Le mot Dieu n’est pas un nom mais une approximation naturelle à l’homme pour désigner une réalité inexplicable. Nous pouvons en déduire que tout ce que nous disons de Dieu et tout les rites par lesquels nous signifions notre adhésion sont imparfaits. Des approximations.

Devoir de mémoire
Dans ces conditions on comprend que le rite ne peut être fixé une fois pour toutes et ne doit faire l’objet d’aucune su­perstition. Nous pouvons pourtant le considérer comme né­cessaire. Il est en effet un mode d’expression naturel à l’homme. C’est bien pour cela que le rite est omniprésent. Citons le tapis rouge de l’Elysée, la poignée de mains inter­minable d’hommes politiques devant les caméras, le 14 juillet, le 11 Novembre, le soldat inconnu... Les manifs ont aussi un rituel. Elles sont quasiment de structure sacramen­telle : une marche qui n’aurait en soi aucune signification si elle n’était accompagnée de slogans et de transport de pan­cartes pour en donner les raisons. On repense à la définition du Baptême donnée par Paul en Ephésiens 5, 26 : un bain d’eau qu’une parole accompagne. Le geste et la parole. Le défilé et la procession sont cousins. N’oublions pas les rites familiaux : fêtes, anniversaires. Remarquons que la plupart des rites sont pratiqués pour raviver des souvenirs, pour ne pas perdre la mémoire, collective ou individuelle. Il est des événements qui ont donné naissance à du nouveau dans nos sociétés et dans nos vies ; pour ranimer en nous le dynamisme qui fut à leur source, il convient d’en célébrer rituellement l’anniversaire. Nous retrouvons tout cela, en images, au chapitre 12 de l’Exode qui, en outre, nous aide à mieux comprendre que le rite est une pratique de mémoire collective : c’est un peuple qui est concerné et qui trouve dans la commémoration un instrument de réaffirmation et de solidification de son unité. Dans le rite la foi de chacun, quelle que soit sa particularité, trouve une expression commune ou, mieux, partagée.

Des rites au service de la foi
La forme des rites peut évoluer pour diverses raisons dont la plus importante est la nécessité de dire plus clairement une foi qui a progressé et continue à inspirer une multitude d’écrits théologiques. C’est pourquoi certains rites ont changé. A ceux qui s’indignent de la transformation que Va­tican II a apporté à la liturgie de l’Eucharistie, rappelons que le Baptême fut d’abord un bain, une immersion, et c’est bien sous cette forme là qu’il dit le mieux ce qu’il veut signifier. S’il a pris la forme que nous connaissons aujourd’hui, c’est simplement parce que l’immersion n’est pas pratique. Quant à la communion sur la langue, elle n’est pas primitive. Quelles que soient les raisons qui ont amené à la généraliser, elle entre en contradiction avec le prenez et mangez de la dernière Cène. De plus le signe eucharistique comporte le manger et le boire : nous ne sommes donc pas au point avec la communion au pain seulement. Toujours la volonté de simplifier pour faciliter. Des raisons plus nobles peuvent conduire à modifier les rites, en particulier le désir de revenir aux sources quand les modifications simplificatrices ont rendu le signe difficile à interpréter. Toujours est-il que l’histoire nous montre qu’ils ne sont pas immuables, ce qui nous donne une certaine liberté. Puisque le rite est un des langages de la foi, cette foi est toujours habilitée à modifier ce langage quand, pour diverses raisons, il ne l’exprime plus suffisamment ou correctement.

Sortir d’un langage décalé
Le rite est fait de signes et la fonction du signe est de si­gnifier. Or il peut arriver qu’il devienne opaque, inintelli­gible, ou simplement ennuyeux. C’est qu’un langage s’inscrit dans une culture et que les cultures évoluent. Il n’y a pas de langage valable pour tous les temps et tous les lieux ; pas davantage de philosophie hors du temps et universelle. Notre dictionnaire n’est plus celui du Moyen Age. Même les écrits de la Renaissance demandent une translation en langage moderne. C’est pourquoi Croire Aujourd’hui a ouvert une rubrique intitulée : Les gros mots de la foi. Un langage culturellement décalé devient aussitôt langue de bois. Allons jusqu’au bout : même le langage de la Bible, sans en exclure les évangiles, est très souvent difficile à comprendre en raison du décalage culturel qui le caractérise. D’où la nécessité de l’homélie, gros mot également qui vient du grec homilia dont le sens premier est réunion. Homélie a fini par désigner le commentaire oral des textes au cours d’un acte liturgique. On le voit, tout notre vocabulaire, -et en premier- lieu celui des rites, doit être expliqué pour qu’il parvienne à dire notre foi. Et il n’y a pas que le vocabulaire : si les idées et les images utilisées disaient parfaitement notre foi, il n’y aurait pas tant de traductions de la Bible, tant d’ouvrages de réflexion, tant de revues...On ne comprend plus comme autrefois les premiers chapitres de la Genèse, ni même les textes issus de l’Eglise. Bref, tout bouge et tout a toujours bougé. En ce qui concerne les rites, il est préférable, c’est vrai, d’y aller doucement. Il ne faut rien perdre de ce qu’il y a d’authentique dans l’héritage historique qu’ils véhiculent. Les modifications des rites publics ne sauraient être laissées à l’inspiration et à l’idéologie d’individus. Tout doit passer par l’assentiment de la co­munauté. Ne l’oublions pas, le rite étant langage de la foi, c’est la foi elle-même qui risque d’être altérée si l’on se trompe de langage.

La nécessité du rite
Certes il est des circonstances ou des croyants peuvent être privés de rites. Pensons à ce Jésuite du 17ème siècle que ses supérieurs envoyèrent découvrir une route terrestre pour la Chine, le voyage par mer s’avérant trop meurtrier. Pendant plusieurs années, il chemina dans des caravanes musulmanes, privé de toute pratique chrétienne. La privation de rite ne provoqua pas une éclipse de la foi.
Tous les jours on rencontre des gens qui se disent croyants non pratiquants. Ces personnes doivent bien conserver quelques pratiques de prière, quelques rites indivi­duels plus ou moins secrets. Sinon, en quoi consiste cette foi sans expression, sans langage ? Humains, nous ne pouvons exister sans nous dire d’une façon ou d’une autre. Le rite chrétien est, comme on l’a dit, remise en mémoire des événements qui ont fondé notre relation à Dieu. Toujours le rite nous renvoie à Jésus le Christ, à ses paroles et à ses actes. Si l’on se prive de ces commémorations rituelles, la geste du Christ tombe dans l’oubli ; il devient peu à peu un étranger. De plus l’œuvre du Christ est notre rassemblement dans l’unité de l’amour. Se priver du rite revient à renoncer à l’expression et à la célébration de cette unité. Tous nos rites sont communion avec Dieu et communion entre nous. Cette communion est l’objet même de la foi.


Marcel DOMERGUE
Croire aujourd’hui
n° 237/15 novembre 2007