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Les valeurs de la laïcité dans la Bible, Caroline Celle, La Croix le 29.01.2021

Le Tribut, illustration de 'La Vie de Notre Seigneur Jésus-Christ», de 1886 à 1894 (aquarelle sur mine de plomb sur papier) par Tissot, James Jacques Joseph (1836-1902) Brooklyn Museum of Art, New York, USA (Add.info .: Le denier de César;La Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ;les prêtres essayant de tromper Jésus, lui demander si il est juste de payer le tribut à César;) - www.bridgemanart.com

Si la notion de la laïcité est évidemment anachronique dans le contexte biblique, certaines valeurs qu’elle porte ne sont pourtant pas étrangères à la Bible.

Peut-on parler de laïcité dans la Bible sans surinterpréter le texte ?

Écrite à une époque où les sociétés ne pouvaient concevoir la religion sans la politique, la Bible semble s’opposer à la notion de laïcité, consistant justement à séparer les Églises de l’État. Les textes bibliques enseignent que la loi des hommes a été transmise par Dieu, et qu’aucun pouvoir ne peut se substituer à l’autorité divine. Dieu règne comme seul maître absolu et le pouvoir des rois bibliques ne dépend que de Lui.

Pourtant, le règne des rois hébreux de l’Ancien Testament prend fin, et le judaïsme survit, bien que le peuple hébreu passe sous l’autorité des païens. La Torah (que les chrétiens connaissent sous le nom de Pentateuque, correspondant aux cinq premiers livres de l’Ancien Testament) est ainsi délivrée par Moïse au peuple juif dans le désert, en l’absence d’un gouvernement.

« Le judaïsme ne s’appuie pas sur le pouvoir politique lorsqu’il est créé, et il n’a pas besoin d’être légitimé par un État, souligne Thomas Römer, exégète et philologue au Collège de France. Il sera d’ailleurs ensuite toujours indépendant des pouvoirs politiques en place, ce qui est une première forme de “laïcité” ». Le christianisme marque pourtant une rupture avec la tradition judaïque en devenant religion d’État. Mais au fil des siècles, plusieurs penseurs chrétiens, comme le théoricien politique Marsile de Padoue, au XIVe siècle, pressentent la nécessité de séparer le pouvoir politique du pouvoir spirituel afin de garantir l’autonomie des États. Ils trouvent alors dans la Bible le moyen de justifier la séparation de l’Église et de l’État. « C’est une instrumentalisation du texte, puisque le Moyen Âge n’interprète jamais la Bible de cette manière, soulève Anthony Feneuil, théologien et maître de conférences à l’université de Lorraine. Sans calquer nos concepts modernes sur un texte religieux très ancien, on peut voir dans certains éléments du Nouveau Testament une critique du pouvoir religieux qui peut être aujourd’hui reprise comme une défense de la laïcité. »

Si la laïcité est évidemment anachronique par rapport à la Bible, plusieurs exégètes voient toutefois dans le message d’universalité et de liberté au cœur du christianisme comme des prémisses des valeurs de la laïcité d’aujourd’hui (1). « C’est la première fois que l’humanité est amenée à se défaire de l’idolâtrie, à ne plus être victime de la nature, mais à la maîtriser et exercer son libre arbitre », explique Mgr Pierre Debergé, membre de la Commission biblique pontificale et prêtre affecté au Séminaire pontifical français à Rome.

Comment interpréter l’attitude du Christ avec le pouvoir politique ?

L’attitude de Jésus vis-à-vis du pouvoir politique est très souvent associée au fameux passage de l’Évangile où on le questionne pour savoir s’il est permis ou non de payer l’impôt à César, l’empereur (Mt 22, 21 ; Mc 12, 17 ; Lc 20, 25). À cette question destinée à le piéger, Jésus donne une réponse devenue extrêmement célèbre : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Une locution interprétée comme opérant une distinction nette entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel dans les Évangiles. Lors du centenaire, en 2005, de la loi de séparation des Églises et de l’État en France, Jean-Paul II la citait d’ailleurs dans une lettre à l’épiscopat français pour affirmer que « le principe de laïcité rappelle la nécessité d’une juste séparation des pouvoirs ».

« Jésus ouvre un espace positif au pouvoir politique, en reconnaissant que le Royaume de Dieu et l’Empire de César ne s’opposent pas, mais ont chacun leur place », analyse Mgr Pierre Debré. Le Christ s’inscrit également dans la tradition du judaïsme, qui garde sa liberté de culte quel que soit le gouvernement. « Pour Jésus, il n’est pas nécessaire de se révolter contre le pouvoir, estime Thomas Römer. Dès lors que ce pouvoir tolère la religion juive, il faut l’accepter. Après tout, la Bible est remplie d’histoires de rois juifs qui n’ont pas été à la hauteur de la tâche confiée par Dieu et se sont comportés en despotes. » A contrario, pour certains exégètes, ce passage est la manifestation du lien très fort entre le religieux et le politique à l’époque. Car verser un impôt à César est également une manière de rendre un culte à un ancien général païen divinisé. « Jésus piège à son tour les pharisiens en soulignant leur propre compromission dans un culte qui n’est pas le leur, par le simple fait d’utiliser la monnaie à l’effigie de César, relève Anthony Feneuil. Il faut donc comprendre que toute vie politique implique une forme de religion, dont Jésus invite à se méfier au nom du vrai culte. »

Peut-on faire alors une différence entre l’Ancien et le Nouveau Testament ?

Dès le récit de la Création, dans la Genèse, la Bible sépare l’homme d’une nature divinisée, idolâtrée. Les astres, la mer ou la terre ne sont plus des dieux qu’il faut craindre mais des éléments au service de l’homme, et certains exégètes y voient une façon de se distancier des superstitions religieuses. « La Bible désacralise le monde, souligne Mgr Pierre Debergé. Le Soleil et la Lune ne sont plus des dieux qu’il faut vénérer mais des luminaires, ils servent à éclairer l’homme sur Terre et l’homme n’est plus soumis à leur volonté. »

Mais un tournant s’opère dans le Nouveau Testament, où plusieurs passages bibliques mentionnent le respect dû à l’autorité romaine païenne. Saint Paul dans l’Épître aux Romains (13, 1) écrit : « Que chacun soit soumis aux autorités supérieures, car il n’y a d’autorité qu’en dépendance de Dieu, et celles qui existent sont établies sous la dépendance de Dieu. » Pour lui, le disciple du Christ doit accepter de se soumettre à condition que le pouvoir politique agisse selon la loi de Dieu, de manière juste.

La Première Lettre de saint Pierre va dans le même sens : « Soyez soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur, soit à l’empereur, qui est le souverain, soit aux gouverneurs, qui sont ses délégués pour punir les malfaiteurs et reconnaître les mérites des gens de bien » (2, 13-14). L’Évangile opère donc ici non pas une séparation entre le politique et le religieux, mais une distinction entre pouvoir temporel et spirituel. Au XVIe siècle, Martin Luther et les théologiens de la Réforme protestante s’appuieront sur ces lettres des Apôtres pour défendre la nécessité de séparer le pouvoir du pape de celui des empereurs.

L’objet

Le denier de César

À quoi ressemblait la monnaie romaine mentionnée dans un passage de l’Évangile ? Il faut imaginer des pièces de laiton ou de cuivre, voire d’or, frappées à l’effigie de l’empereur César, représenté en divinité avec l’inscription « Divus Iulius », parfois accompagnée d’une comète, censée symboliser cette divinisation. César est le premier Romain à se faire représenter sur les pièces d’argent de son vivant, et transforme la monnaie en un instrument de propagande politique. Avec le développement du culte impérial sous le règne d’Auguste, après des siècles de République, de nombreux empereurs romains deviennent officiellement des dieux à leur mort. Au IIe siècle après J.-C., ils sont divinisés de leur vivant et les chrétiens doivent leur vouer un culte par des rites sacrificiels. C’est ce refus qui entraînera plusieurs vagues de persécutions sous l’Empire.

ce qu’il faut retenir

La distinction de la religion et du politique

La notion de laïcité dans la Bible est un anachronisme, car elle est écrite dans le monde antique, où religion et pouvoir politique sont étroitement liés. Mais certaines valeurs de la laïcité se retrouvent dans les textes bibliques, comme le libre arbitre que Dieu confère à l’homme, dans un monde où il ne dépend plus des divinités des religions païennes.

Des passages de l’Évangile enjoignent à la soumission à l’autorité romaine païenne, comme l’Épître de saint Paul aux Romains. Il s’agit d’obéir à un gouvernement juste, voulu par Dieu. La péricope sur le denier de César dans le Nouveau Testament renvoie à la question du rôle politique de Jésus. Certains exégètes y voient une distinction du pouvoir temporel du pouvoir spirituel.

Alamy/Hémis.fr

(1) Voir Bible et laïcité, Bulletin n° 8 du secrétariat de la Conférence des évêques de France, 2005.