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Discerner, ou choisir à l’écoute de l’Esprit. Adrien Bail, La Croix, Religion&spiritualité le 09.10.2020

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Discerner, ou choisir à l’écoute de l’Esprit
Adrien Bail

Le discernement spirituel est un moyen pour les chrétiens de guider leur existence sous le regard de Dieu.

«Comme Monsieur Jourdain, nous discernons souvent sans le savoir », sourit le père Patrick Goujon, jésuite, ancien directeur d’études au Centre Sèvres, à Paris. Car discerner (du latin discernere, « voir clair, choisir en séparant ») est une faculté humaine. « Spontanément, nous effectuons tous ce travail lorsque les choses sont floues, indécises, incertaines », abonde le père André Fossion, jésuite, professeur au Centre international Lumen Vitæ, à Namur (Belgique). S’agissant de la recherche du vrai, du bien ou du beau, chacun discerne afin de se guider dans l’existence : quelles études choisir ? Quel comportement adopter face à autrui ? Quelles priorités se donner ? Comment travailler, comment consommer de manière responsable ? Le discernement est d’autant plus important dans un monde devenu complexe, qui nous plonge dans la perplexité. « Sans la sagesse du discernement, nous pouvons devenir facilement des marionnettes à la merci des tendances du moment », écrit le pape François, dans Christus vivit (1). Tendu vers l’action, discerner est ainsi un outil de liberté.

Le discernement spirituel fait appel aux mêmes facultés de raison et d’intelligence. Mais, en plus, « il a comme protagoniste l’Esprit reçu au baptême », écrit Enzo Bianchi dans Le Discernement (2) : « Le discernement est la première opération de l’Esprit Saint en nous. » Dès le IIIe siècle, les premiers moines considéraient ainsi le don de discernement comme « le plus utile pour marcher sur les traces du Christ vers le règne de Dieu », relève le fondateur de la communauté monastique de Bose (Italie), qui cite cette sentence anonyme des Pères du désert : « Un ancien dit : le discernement surpasse toutes les vertus (3). »

Dans l’Ancien Testament, le discernement est l’objet de nombreux passages, la traduction grecque utilisant deux verbes : diakrino, « choisir entre », et dokimàzo, « scruter, examiner », explique Enzo Bianchi. Il y est question de distinguer d’une part les « esprits » mauvais – « jalousie » (Nb 5, 14), « prostitution » (Os 4, 12), « torpeur » (Is 29, 10) – et d’autre part l’Esprit du bien qui descend sur Moïse et les prophètes.

Dans le Nouveau Testament, Jésus est celui qui discerne par excellence, à la fois attentif à la réalité et éclairé par la Parole et l’Esprit. Et il reproche précisément à ses contemporains leur manque de discernement : « L’aspect du ciel, vous savez en juger, mais pour les signes des temps, vous n’êtes pas capables » (Mt 16, 3). Le discernement est au centre des Écritures après la mort de Jésus. Les Apôtres discernent pour choisir un nouveau disciple, à propos de la célébration de la Cène, de l’accueil des païens…

Surtout, le « discernement des esprits » préoccupe saint Paul, qui n’a de cesse d’exhorter à « discerner la valeur de toutes choses » (1 Th 5, 19-22) et « quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon et capable de lui plaire » (Ro 12, 2). « Pour Paul, discerner, c’est rechercher la présence de Dieu, résume le père Patrick Goujon. Dans les situations humaines, qu’est-ce qui nous conduit vers Dieu, et donc vers plus de foi, d’espérance, de charité, de justice et de bonté ? »

Au sens spirituel, poursuit le jésuite, le discernement suppose donc « un réel désir de progresser dans une vie à l’image du Christ », et « un acte de foi » : « Croire que Dieu est uni à nous et désire que nous soyons unis à Lui dans la vie ordinaire, que l’Esprit Saint nous a été donné, et que nous sommes capables de reconnaître les traces de son passage. »« Écouter l’Esprit Saint, écrit Enzo Bianchi, écouter la voix de Dieu qui parle dans les cœurs de l’homme, dans la création ainsi que dans les événements historiques, cela demande avant tout de savoir reconnaître cette voix parmi tant d’autres, avec la conscience que la voix de Dieu ne s’impose pas, ne se commande pas, mais suggère et propose, même dans le bruit d’une brise légère (4). »

Au XVIe siècle, cette tradition du discernement fut enrichie par saint Ignace de Loyola. L’un de ses apports fut de démocratiser la pratique du discernement, au-delà des seuls monastères. « Toutes les questions de la vie peuvent être vécues à la lumière de la foi », explique le père André Fossion, reprenant l’invitation d’Ignace à « trouver Dieu en toutes choses ».

Au cœur de nos vies, il s’agit de rechercher la volonté de Dieu. « Il y aurait toutefois un malentendu à concevoir la volonté de Dieu comme quelque chose de caché, qu’il nous faudrait découvrir », à la manière d’un jeu de piste. « La volonté de Dieu pour nous n’existe pas avant nous, ni sans nous. Le désir de Dieu, c’est que nous ayons la vie en abondance. Ce à quoi il nous invite, c’est à vivre selon l’appel évangélique. Mais la réponse à cet appel est vraiment nôtre. Dieu, en ce sens, ne décide pas à notre place. Le discernement est toujours le fruit d’une coopération libre et familière avec l’Esprit de Dieu qui se joint à notre esprit. Le discernement n’est pas un effacement de soi-même face à la volonté d’un autre. Il est, au contraire, un chemin de libre épanouissement. Discerner mobilise toutes les capacités du sujet : son intelligence, sa volonté et aussi ses goûts. »

Le discernement repose sur une « triple écoute », selon André Fossion : écoute de soi, du monde et des Écritures. Il s’agit d’abord, comme l’écrit Enzo Bianchi, de connaître son propre cœur, les « pulsions de vie et de mort » qui l’habitent, d’assumer ses « limites » et ses « fragilités » – ce qui suppose vigilance et « attention » (5).

Saint Ignace insiste sur l’attention au monde, à ses besoins, aux forces en présence : que pouvons-nous faire pour lui ? Un temps de « considération des circonstances », reprend Patrick Goujon, dont le but est de sentir comment celles-ci nous impactent et vers quoi elles nous conduisent. Enfin, par la prière et la fréquentation des Écritures, il s’agit de construire une familiarité avec Dieu. Contempler la manière dont le Christ est conduit par l’Esprit, regarder comment l’Esprit vit en nous-mêmes, afin de « nourrir les mêmes sentiments que Jésus-Christ, en adoptant les critères de ses choix et les intentions de son action », comme l’écrit le pape François (6). Avec la joie comme boussole. André Fossion insiste : « Dieu nous a faits pour la joie. Son appel se laisse entendre en ce qui nous établit dans une joie durable. »

repères

Sept étapes pour discerner

« Tout discernement spirituel dans la ligne ignatienne requiert une gestion du temps qui peut être minutieuse et souple à la fois », écrit le père André Fossion dans son article « Le discernement selon la tradition ignatienne » (revue Lumen Vitæ, vol. LXXV, janvier 2020). Le prêtre jésuite propose ainsi un parcours qui peut comporter « des répétitions, des retours en arrière, des relectures et des évaluations, ou encore des moments de repos ».

1. Le questionnement. Relever les points à discerner, fixer un moment d’entrée dans le discernement et en prévoir la durée.

2. L’analyse. Un temps pour se documenter et analyser en faisant appel à la raison.

3. La prière. Méditer les Écritures pour se rendre disponible à l’action de l’Esprit Saint.

4. L’entretien. Dans les Exercices spirituels, saint Ignace propose de parler à Dieu « comme à un ami ». Il est également utile de dialoguer avec une personne d’expérience, par exemple un accompagnateur spirituel. Dans le cadre d’un discernement communautaire, c’est le temps de l’échange avec les autres membres de la communauté.

5. La maturation. Laisser reposer, prendre le temps de ressentir ce que le discernement suscite en nous.

6. La prise de décision. Délibérer, rechercher le consensus, décider.

7. La confirmation. La décision suscite-t-elle une joie durable ? Porte-t-elle des fruits ?

À lire Les Étapes du discernement. Examiner, approfondir, choisir, A. Cencini, EdB, 147 p., 18 € ; Comment discerner, Pascal Ide, Éd. Emmanuel, 173 p., 15 € ; « Le Discernement », Revue Christus, Hors-série n° 258, mai 2018, Éd. SER, 223 p., 18 €.

(1) Pape François, exhortation apostolique Christus vivit, n° 279, 25 mars 2019. (2) Enzo Bianchi, Le Discernement (Éd. Fidélité, 2019, 123 p., 15 €), p. 42. (3) Sentences des Pères du désert. Série des anonymes, Solesmes/Bellefontaine, 1985, p. 44, n° 106. (4) Ibid., p. 10-11. (5) Ibid., p. 50. (6) Pape François, Op. cit., n° 155.

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Adrien Bail : « Se donner le temps et les moyens de choisir »

Pour Claire et Nicolas, formés à la spiritualité ignatienne, discerner fait partie du quotidien.

Il y a dix ans, pour le mariage de Claire et Nicolas, leurs témoins n’avaient pas manqué de les taquiner : « Chez eux, tout est grave ! Jusqu’au contenu de la penderie », avaient-ils chanté dans une composition humoristique qu’ils n’ont pas oubliée. « Le pire, c’est que c’est vrai, rit Claire, 35 ans, ingénieure en aménagement du territoire. On discerne tout le temps, pour toute décision, grande ou mineure ! » Risquons l’inventaire : choisir un nouveau véhicule, des vêtements, les cadeaux de Noël, trouver un artisan, partir ou non en voyage au Canada – ils y ont renoncé ! – ou encore se coucher tôt versus regarder une série en streaming… « On nous renvoie parfois l’image de gens peu funky… au point qu’on s’est sérieusement demandé si on manquait de légèreté ! », sourit Nicolas, 39 ans, paysagiste et tailleur de pierre de formation, aujourd’hui salarié d’une association qui propose des animations autour de la nature et forme à la permaculture, près de Châteauroux (Indre).

Mais ce sérieux apparent tient moins d’un scrupule mal placé que d’un authentique désir de vivre pleinement, persuadés que cela implique des choix pour « garder le cap » au lieu de « se laisser porter par le courant » : « Le discernement est intégré à la vie, explique Claire. Nous avons le désir d’être au plus près de ce que nous sommes, de nos valeurs, qui sont celles d’une vie simple, et dont nous avons envie de témoigner. Discerner, pour moi c’est se placer sous le regard de Dieu, avoir le désir d’être ajusté à son projet pour nous. »« Quand on marche en forêt, il faut quelquefois choisir entre deux chemins, qui peuvent être bons tous les deux », note Nicolas. Il s’agit alors de questionner l’un et l’autre : « Lequel procurera le plus de vie, où est-ce que l’on donnera le plus d’amour, où fleurira le plus de joie ? Plus on pratique l’exercice, plus cela devient indispensable. »

L’exercice est un questionnement à la fois méthodique et spontané. Il passe d’abord par une attention à ce que l’on éprouve « au fond de soi ». Membre, dès 8 ans, du Mouvement eucharistique des jeunes (MEJ), de spiritualité ignatienne, Claire se rappelle les « stop-carnets », « où l’on apprenait la relecture en identifiant nos émotions : quand étions-nous joyeux (ou triste) et pourquoi ? » Dans leur vie de couple, la relecture intervient lors d’un dîner à deux mensuel, où l’on soigne l’écoute. Avec leurs trois enfants, âgés de 5 à 9 ans, ils tiennent régulièrement des conseils de famille, où chacun prend la parole à tour de rôle, autour de sujets comme le programme d’une journée de vacances. Claire et Nicolas sont accompagnés spirituellement – elle par une laïque, lui par un prêtre, à qui ils exposent les points à discerner. Ils comptent enfin sur l’appui communautaire, qu’il s’agisse de leur groupe d’amis constitué d’anciens du MEJ, réuni chaque année pour le week-end de l’Ascension, ou du mouvement Communauté de vie chrétienne (CVX), auprès duquel ils ont sollicité une aide au discernement en équipe, à propos d’une nouvelle orientation professionnelle pour Claire. « Il ne s’agit pas de chercher des conseils, mais de se laisser interpeller », précise Nicolas, convaincu que « le Seigneur parle à travers les frères ».

En toile de fond, il y a la prière et la méditation, qui « soutiennent tout le processus ». « On se donne du temps et des moyens. Et puis, dans la prière, en lisant les lectures le matin, ou plus tard, dans un moment de silence en arrosant le jardin, dans un geste ou une parole, on reçoit quelque chose, une parole ! » C’est ainsi qu’a émergé la décision à propos d’un éventuel quatrième enfant, mûrie après dix-huit mois de discernement : « Nos positions étaient irréconciliables, nous n’en pouvions plus, se souvient Claire. Au début du Carême, nous avons demandé au Seigneur de trouver la paix. Et j’ai ressenti un lâcher-prise. Et j’ai rendu grâce pour nos trois enfants, qui nous comblent. »