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L’infaillibilité pontificale. Nicolas Senèze, à Rome. La Croix 10.07.2020

Il y aura cent cinquante ans dans quelques jours, le 18 juillet 1870, le concile Vatican I proclamait le dogme de l’infaillibilité pontificale.

D’où vient ce dogme ?

Proclamé le 18 juillet 1870, le dogme de l’infaillibilité pontificale ne figurait pas au départ à l’ordre du jour du concile Vatican I. Mais quelques semaines après son ouverture, une majorité de pères conciliaires demandèrent son inscription, et le sujet fut discuté du 13 mai au 16 juillet et voté définitivement le 18 juillet par 533 évêques (contre 2), malgré l’absence des évêques orientaux qui avaient quitté Rome pour ne pas avoir à se prononcer contre ce qu’ils percevaient comme une trop forte « latinisation » du catholicisme.

Mais s’il n’est officiellement proclamé qu’à la fin du XIXe siècle, le dogme de l’infaillibilité a des racines profondes. Bibliques d’abord : pour ses promoteurs, il trouve sa source dans l’infaillibilité du Christ – « Je suis la Vérité », Jean 14, 6 – qui promet l’indéfectibilité à son Église fondée sur la foi de Pierre – « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église (…) tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux », Matthieu 16, 18.19. En vertu de ces textes, les Pères de l’Église verront très tôt en l’évêque de Rome l’arbitre des difficultés doctrinales : « Il est donc nécessaire que toutes les Églises s’accordent avec cette Église romaine, à cause de son autorité éminente et parce que, par elle, la tradition des apôtres a toujours été conservée », écrit, par exemple, saint Irénée vers 180 (Contre les hérésies, III, 3).

Contestée au Moyen Âge par les courants conciliaristes (qui voient dans le concile une autorité supérieure au pape), puis à l’époque moderne par les gallicans, l’infaillibilité reprend de la vigueur au XIXe siècle avant de s’imposer au moment où, avec la fin des États pontificaux, le pape cesse d’être une puissance politique.

Comment s’exprime le dogme ?

Tel qu’exprimé par Vatican I, et dans la droite ligne de ses sources scripturaires, l’infaillibilité pontificale est donc intimement liée à l’infaillibilité de l’Église. « Il n’y a pas deux infaillibilités – celle de l’Église et celle du pape –, mais une seule, l’infaillibilité de l’Église, dont le pontife romain est la tête », résume Mgr Dominique Le Tourneau (1).

Le concile Vatican II, qui a repris presque un siècle après les travaux interrompus par Vatican I en 1870, indique d’ailleurs dans sa constitution Lumen gentium trois sujets de l’infaillibilité : le Peuple de Dieu dans sa totalité, d’abord, qui « ne peut se tromper dans la foi » qu’il manifeste par un sens surnaturel de la foi (sensus fidei) lorsque, « des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs », il apporte « aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel ».

Vatican II parle ensuite de l’infaillibilité du collège épiscopal quand les évêques « même dispersés à travers le monde, mais gardant entre eux et avec le successeur de Pierre le lien de la communion, s’accordent pour enseigner authentiquement qu’une doctrine concernant la foi et les mœurs s’impose de manière absolue » : « Alors, c’est la doctrine du Christ qu’infailliblement ils expriment » (Lumen gentium, 25).

C’est ici qu’intervient l’infaillibilité pontificale dont jouit le pape, « du fait même de sa charge quand, en tant que pasteur et docteur suprême de tous les fidèles, et chargé de confirmer ses frères dans la foi, il proclame, par un acte définitif, un point de doctrine touchant la foi et les mœurs » (ibid.). Vatican II reprend ainsi, en l’articulant à la doctrine de l’infaillibilité de l’Église, la définition donnée par Vatican I.

Pour le théologien suisse Maurice Zundel, l’infaillibilité pontificale, loin de faire du pape un super monarque de l’Église, le ferait au contraire s’effacer derrière la personne du Christ dont il est le vicaire. « L’infaillibilité, c’est la grande démission de l’homme en Jésus-Christ, soulignait-il lors d’une retraite en 1959. C’est justement la garantie que nous n’avons pas affaire à vous mais à Lui, à travers vous et, s’il le faut, malgré vous. Car dans l’Église, la mission s’accomplit toujours dans la démission et c’est le contraire de ce qu’on s’imagine : plus on est appelé à assumer de charges dans la hiérarchie, plus on disparaît dans la personne de Jésus-Christ. »

L’infaillibilité pontificale est-elle souvent utilisée ?

L’infaillibilité n’est donc pas un blanc-seing accordé au pape lui donnant le droit de se prononcer sur tous les sujets sans se tromper. Le texte de la constitution dogmatique Pastor Æternus de Vatican I (lire ci-contre) a en effet strictement encadré les cas où le pape peut l’engager, mais aussi la manière très formelle dont il doit le faire.

Pour engager son infaillibilité, qui exprime « l’assistance divine » dont il dispose, le pape doit en effet se prononcer « ex cathedra », c’est-à-dire explicitement comme pasteur de l’Église universelle (et non, par exemple, comme évêque de Rome ou primat d’Italie) et, comme le souligne Mgr Le Tourneau, « en des termes qui manifestent clairement son intention de formuler une vérité de façon définitive et irrévocable ». Le pape doit aussi s’exprimer « en matière de foi ou de mœurs » et veiller à demeurer en « accord de foi » avec la révélation. « L’assistance divine spéciale ne s’étend pas à n’importe quoi, expliquait le théologien belge Gustave Thils (2). Son aire est, par excellence, la révélation. Si le magistère est doué d’infaillibilité, c’est pour maintenir intacte la révélation. »

Ces conditions très strictes expliquent que, depuis 1870, l’infaillibilité n’a été engagée qu’une seule fois lorsque le pape Pie XII a proclamé le dogme de l’Assomption en 1950. La méthode employée (le pape a écrit à tous les évêques pour les interroger sur l’opportunité et la légitimité d’une telle définition) et le large consensus recueilli soulignent le souci du pape Pacelli de ne pas agir de manière inconsidérée.

À l’inverse, malgré les critiques, Paul VI s’était refusé à engager l’infaillibilité pour son encyclique Humanae vitae de 1968, sur la régulation des naissances, de même que Jean-Paul II ne l’avait pas fait pour sa lettre Ordinatio sacerdotalis de 1995 réservant la prêtrise aux hommes. L’année suivante, la Congrégation pour la doctrine de la foi avait néanmoins estimé qu’il s’agissait là d’une « doctrine proposée de manière infaillible par l’Église » – engageant donc l’infaillibilité de l’Église – exigeant « un assentiment définitif » des fidèles.

ce qu’il faut retenir

Le dogme de l’infaillibilité pontificale

Le 18 juillet 1870, le concile Vatican I proclamait le dogme de l’infaillibilité pontificale.

Ce dogme souligne que le pape peut bénéficier, « par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église ».

L’infaillibilité n’est toutefois pas un blanc-seing donnant tous pouvoirs au pape et ne peut être engagée que dans des conditions très précises.

L’infaillibilité pontificale s’intègre à l’infaillibilité de l’Église, s’articulant à celle du Peuple de Dieu, qui « ne peut se tromper dans la foi », qu’il manifeste par un sens surnaturel de la foi (sensus fidei) lorsque, « des évêques jusqu’aux derniers des fidèles laïcs », il apporte « aux vérités concernant la foi et les mœurs un consentement universel ».

À ce jour, l’infaillibilité pontificale n’a été engagée qu’une seule fois, en 1950, lors de la proclamation du dogme de l’Assomption par Pie XII.

Le texte

« Pastor Æternus », du concile Vatican I

« C’est pourquoi, nous attachant fidèlement à la tradition reçue dès l’origine de la foi chrétienne, pour la gloire de Dieu notre Sauveur, pour l’exaltation de la religion catholique et le salut des peuples chrétiens, avec l’approbation du saint concile, nous enseignons et définissons comme un dogme révélé de Dieu : le Pontife romain, lorsqu’il parle ex cathedra, c’est-à-dire lorsque, remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens, définit, en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l’Église, jouit, par l’assistance divine à lui promise en la personne de saint Pierre, de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu que fût pourvue son Église, lorsqu’elle définit la doctrine sur la foi et les mœurs. Par conséquent, ces définitions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes et non en vertu du consentement de l’Église. »

(1) « Infaillibilité », in Dictionnaire historique de la papauté, de Philippe Levillain (dir.), Fayard, 2003. (2) « Précisions sur l’infaillibilité papale », Revue théologique de Louvain, 1970, p. 183-190.