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A quoi sert (vraiment) l’Eucharistie ?Arnaud Bevilacqua et Mélinée Le Priol, La Croix 10.07.2020
Chez les catholiques français, le jeûne eucharistique imposé par le confinement a été au cœur de débats parfois âpres.
Le manque s’est fait sentir, pour certains catholiques, dès la mi mars, quand le Covid-19 a mis sur pause le fil de la vie ordinaire. Manque d’espace, manque de rencontres, manque de mobilité ? Peut-être, mais aussi manque d’Eucharistie ! Un petit rond pâle déposé dans la main ou sur la langue, et une communion qui s’opère. Alliance mystérieusement renouvelée, par la simple ingestion d’un bout de pain qui n’a pas levé et sur lequel un prêtre a prononcé quelques mots répétés depuis deux millénaires : « Ceci est mon corps. »
« C’est quand même le pain de vie ! », a-t-on entendu d’une croyante portugaise, confinée en Picardie. La messe, pour Diolinda, c’était tous les jours en temps normal. « Je la regarde à la télé, mais ce n’est pas pareil. La communion me manque énormément. »
D’autres ont relativisé ce manque, en rappelant que l’Eucharistie et la charité sont les piliers indissociables de la vie chrétienne et qu’il y avait bien à faire pour aider son prochain en dehors des églises fermées. Les derniers ont témoigné, étonnés voire perturbés, de ce que la disparition subite de ce rituel pratiqué depuis l’enfance ne changeait rien à leur quotidien, du moins en apparence. La « surconsommation sacramentelle » déplorée par certains historiens, conséquence de siècles de christianisme sociologique, avait-elle fini par anesthésier, en eux, la puissance du sacrement dit « le plus grand » de tous ?
En tout cas, la période de disette eucharistique aura eu le mérite, au-delà des débats tendus et parfois inutilement violents qu’elle aura suscités, de nous interroger sur le sens profond de l’Eucharistie : « Source et sommet de toute la vie chrétienne », selon les termes de la Constitution dogmatique sur l’Église Lumen gentium (n° 11), « unique aliment qui rassasie », selon ceux du pape François.
Sœur Bénédicte Mariolle, théologienne et Petite Sœur des pauvres, reprend une métaphore employée par le pape Jean XXIII : « C’est comme la fontaine du village, le lieu où nous venons nous ressourcer, reprendre vie dans une expérience communautaire qui dépasse notre famille et nos amis. » Carburant de la vie spirituelle, source où les catholiques puisent leur « feu intérieur », l’Eucharistie introduit aussi une rupture dans le quotidien – « un espace de gratuité qui tranche avec la logique d’efficacité de la vie de tous les jours », pour sœur Bénédicte Mariolle.
Mais que se joue-t-il vraiment dans ce sacrement, dont le nom grec veut dire « action de grâces » et qui a généré des siècles de débats et d’explorations théologiques, de saint Augustin à François Varillon en passant par saint Thomas d’Aquin et le concile de Trente ?
Le père Éric Morin, enseignant au Collège des Bernardins et directeur de la revue Cahiers évangile, le dit en quelques mots simples : « L’Eucharistie, c’est ce que Jésus nous a demandé de faire pour que nous nous souvenions de lui dans l’attente de son retour. Il se donne en nourriture, il se laisse déjà goûter, pour nous permettre de tenir dans l’espérance jusqu’à ce qu’il revienne. »
Ce sacrement – comme les six autres que reconnaît l’Église catholique – est donc né d’une absence : celle du Christ mort et ressuscité, qui s’est retiré de l’histoire pour entraîner ses disciples auprès de son Père, où il les attend. « Les sacrements correspondent à une autre modalité de présence du Christ à ses disciples, après sa vie terrestre, reprend le père Éric Morin. Ces sept gestes déploient ce que représentait la présence de Jésus entre la Galilée et la Judée : il a baptisé, il a pardonné, il a guéri les malades… »
Et il a pris un dernier repas. Voilà ce qui se joue dans le sacrement eucharistique, pour lequel l’autel recouvert d’une nappe rappelle un banquet. « L’Eucharistie n’est en rien la “répétition” de la croix, dont le “une fois pour toutes” ne peut être répété », insiste le père Bernard Sesbouë dans un livre paru cet hiver (1). « L’Eucharistie, par contre, est bien la “répétition” de la Cène. »
C’est dans l’ordinaire d’un repas partagé que le Christ promet à ses disciples de rester uni à eux, même après sa mort et sa résurrection. « C’est dans un four banal qu’on cuit le pain quotidien », écrivait Georges Bernanos. « Il faut aussi accepter cette part d’ordinaire, d’habituel, dans l’Eucharistie », estime le père Éric Morin. « Certains jours, je vais communier parce que c’est l’heure, voilà, et cela ne veut pas dire qu’il ne s’y passe rien. »
Ce qui s’y « passe », justement, est parfois difficile à identifier pour celui qui communie, fût-il de bonne volonté. De là à croire qu’il peut s’en passer, il n’y a qu’un pas… Pour le père Gilles Drouin, directeur de l’Institut supérieur de liturgie de la Catho de Paris, il est évident que l’on peut avoir « une vie chrétienne authentique sans Eucharistie » : ce fut notamment le cas des catholiques japonais après le départ des missionnaires. Il appelle néanmoins à ne surtout pas « confondre la norme avec des exceptions ».
De même, communier en dehors de la messe est possible, mais uniquement pour les malades. Le père Henri de Lubac, grand théologien du XXe siècle, insistait sur le fait que chaque célébration eucharistique vise à faire de l’assemblée présente le corps de l’Église, qui est aussi le corps du Christ. « Si l’Église fait l’Eucharistie, l’Eucharistie fait l’Église », écrivait-il. La dimension communautaire, fraternelle de l’Eucharistie est donc essentielle, et ce sacrement ne saurait se résumer à la « consommation » individuelle du pain et du vin consacrés, avant de rentrer chez soi sans un regard pour ses voisins d’assemblée.
Recevoir le corps du Christ sans traduire cela en actes est bien un risque possible. Le père Gilles Drouin rappelle qu’en guise de testament, le Christ n’a pas donné un message – sinon le commandement d’amour – mais son corps : à chaque Eucharistie, il nous dit donc de nous donner nous-mêmes. « Nous devons conformer notre vie à l’acte que nous posons en participant à l’Eucharistie, qui est la participation au don du Christ de lui-même. »
Au cours de ses deux mois de confinement dans un Ehpad, sœur Bénédicte Mariolle dit avoir mieux pris conscience de la continuité entre l’Eucharistie et le service des pauvres – en l’occurrence, des personnes âgées. « L’Eucharistie rappelle au peuple chrétien celui vers qui il va », résume-t-elle joliment.
repères
Des textes de référence sur l’Eucharistie
Dans la constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum concilium, une des quatre constitutions conciliaires promulguées par le concile Vatican II, le 4 décembre 1963, par Paul VI, le chapitre 47 est consacré au mystère de l’Eucharistie : « Notre Sauveur, à la dernière Cène, la nuit où il était livré, institua le sacrifice eucharistique de son Corps et de son Sang pour perpétuer le sacrifice de la croix au long des siècles, jusqu’à ce qu’il vienne, et pour confier ainsi à l’Église, son Épouse bien-aimée, le mémorial de sa mort et de sa résurrection : sacrement de l’amour, signe de l’unité, lien de la charité, banquet pascal dans lequel le Christ est mangé, l’âme est comblée de grâce, et le gage de la gloire future nous est donné. »
Dans l’exhortation apostolique post-synodale Sacramentum caritatis, sur l’Eucharistie source et sommet de la vie et de la mission de l’Église, publiée le 22 février 2007, Benoit XVI parle de l’Eucharistie comme d’un triple mystère : à croire, à célébrer et à vivre. « Sacrement de l’amour, la sainte Eucharistie est le don que Jésus-Christ fait de lui-même, nous révélant l’amour infini de Dieu pour tout homme. Dans cet admirable sacrement se manifeste l’amour ‘‘le plus grand”, celui qui pousse “à donner sa vie pour ses amis” (Jn 15, 13) », écrit-il en introduction.
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Entretien
« La célébration eucharistique est à la fois un aboutissement et un point de départ »
Recueilli par Arnaud Bevilacqua
Frère François Cassingena-Trévedy Moine bénédictin à l’abbaye de Ligugé (Vienne) et théologien La longue période de suspension des célébrations religieuses est, selon le frère François Cassingena-Trévedy, une occasion pour les catholiques de s’interroger sur la signification et la place du mystère de l’Eucharistie.
Comment le « jeûne eucharistique », vécu par les fidèles pendant plus de deux mois, peut-il nous réinterroger sur ce sacrement ?
Frère François Cassingena-Trévedy : Ce que nous avons vécu, ce manque ressenti, ne nous invite pas à déserter nos églises mais bien à considérer ce qui doit être remis en question en nous-même sur le sens de l’Eucharistie. Il nous faut ainsi effacer de nos esprits la tentation de percevoir la messe comme un simple distributeur de pastille eucharistique. Nous sommes chrétiens en communauté. L’acte même de célébrer ensemble est fondamental. C’est aussi un engagement physique par notre corps – primordial dans le christianisme. Nous avons besoin de chanter, d’écouter, de voir, de sentir. Sans la célébration eucharistique, il nous manquerait l’expérience physique de la communauté, la présence réelle de celle-ci. Le chrétien existe par cette célébration, dont les rituels ne sont que des instruments provisoires. La présence n’est pas enfermée dans l’Eucharistie, mais elle est la grande ressource de notre foi.
En quoi l’Eucharistie est-elle « source et sommet » de la vie chrétienne ?
F. F. C.-T. : Dans l’Eucharistie, il y a bien sûr une dimension spirituelle, cette rencontre personnelle avec le Seigneur, mais l’Eucharistie est d’abord la volonté de faire corps du Christ. Nous redécouvrons peut-être qu’il s’agit d’une nourriture spirituelle par la présence du Christ ressuscité mais qui déborde et est une exigence de vie.
L’Eucharistie n’est ni une pastille de présence de Jésus, ni une vitamine de sacré qui crée une émotion spirituelle. Si le manque ne porte que sur le fait d’être sevré de mon moment avec Jésus, je ne crois pas que cela témoigne d’un rapport ajusté avec l’Eucharistie. Elle est cette célébration communautaire qui conduit à l’engagement sur la foi de la parole de Dieu que nous écoutons ensemble et essayons de comprendre. La célébration eucharistique est à la fois un aboutissement et un point de départ. C’est une exigence de vie chrétienne. Combien de fois nous arrive-t-il, par notre incohérence, de vider la présence réelle ? Comment pourrais-je communier à Jésus dans l’hostie, si je ne suis pas un peu questionné par la présence du Christ dans mon frère ? En ce sens, il n’est peut-être pas mauvais d’en avoir été privé pour s’interroger sur un rapport qui peut se révéler très matérialiste.
Mais, finalement, comment comprendre que le Christ nous appelle à faire ainsi mémoire de lui par l’Eucharistie ?
F. F. C.-T. : Il est fondamental de s’interroger sur l’intention de Jésus, celui qui nous révèle un Père et non un Dieu philosophique. Jésus donne sa vie et nous introduit dans cette relation au Père qui est le seul nom légitime de Dieu. J’ose dire que je ne connais pas Dieu mais seulement le Père, que personne n’a jamais vu mais que le Fils a fait connaître et qui me voit dans le secret. En nous introduisant à ce Père, Jésus fait de nous tous des frères, ce qui forme une humanité complètement nouvelle, révolutionnaire. Voilà, pour moi, le sens de l’Eucharistie, de ce pain que le Père nous donne.
En cela, elle nécessite une conversion. De quoi ai-je besoin dans l’Eucharistie ? Est-ce une petite émotion spirituelle douce ou le besoin de faire corps avec mes frères et d’être en relation filiale avec ce Père que Jésus me révèle et qui me donne aujourd’hui mon pain, comme nous le disons dans la prière du Notre Père ? L’Eucharistie demeure ainsi un mystère qu’on ne peut qu’approcher.