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« Avec Louis Pasteur, nous découvrons que “beaucoup de science” ramène à Dieu ». Raphaël Duqué. Tribune, La Croix 27.12.2022

Raphaël Duqué
Astrophysicien
L’astrophysicien Raphaël Duqué se réjouit de la progression de la connaissance scientifique, tout en reconnaissant à l’activité de recherche une part de démarche spirituelle. Pour lui, le progrès de la science a permis aux croyants d’élever leur lecture des Écritures saintes pour accéder à leur message spirituel avec plus de clarté.

Raphaël Duqué, le 27/12/2022 à 09:25
Lecture en 4 min.
« Avec Louis Pasteur, nous découvrons que “beaucoup de science” ramène à Dieu »
Louis Pasteur.

CC/BIZOTTMANY/WIKIMEDIA COMMONS
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« Un peu de science éloigne de Dieu ; beaucoup de science y ramène. » Francis Bacon, philosophe anglais de la Renaissance, est à l’origine de cette pensée (1) énigmatique par sa simplicité et sa symétrie.

On célébrera, le 27 décembre, le bicentenaire de la naissance, en 1822, de Louis Pasteur, qui aurait pu la reprendre à son compte. Savant reconnu mondialement pour avoir mis au point le vaccin contre la rage, entre autres apports majeurs à la biologie et à la santé publique, Pasteur était aussi attaché à la spiritualité, comme le montrent ses écrits et les témoignages de ses proches.

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Depuis l’époque de Pasteur, la science et la théologie ont progressé chacune de leur côté et, parfois, en dialoguant. Aujourd’hui, à l’ère des ordinateurs quantiques, de la manipulation du génome et du tourisme spatial, comment peut-on comprendre qu’« un peu de science éloigne de Dieu », mais que « beaucoup de science y ramène » ?

La connaissance émancipe
Fruit de la science, la technologie est plus efficiente pour affronter certaines épreuves de la vie quotidienne que l’imploration du ciel. L’exemple du paratonnerre – que je reprends du récent ouvrage La Science. L’épreuve de Dieu ? de François Euvé – est parlant : Benjamin Franklin découvre que la foudre est de même nature que le courant électrique et invente le paratonnerre qui, mieux que les prières, protège de l’orage.

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La connaissance scientifique émancipe l’homme en lui offrant la maîtrise du monde matériel où l’intervention divine n’est plus nécessaire. Plus encore, la science amène l’homme à raisonner et à exercer son esprit critique, fondement de la méthode scientifique. Ce faisant, elle incite l’homme à se libérer des dogmes religieux et l’affranchit donc aussi sur le plan intellectuel.

Cette idée d’émancipation par la science était chère aux penseurs de la Révolution française. Notre système éducatif très porté sur les sciences en est l’héritier. Le savant révolutionnaire Pierre-Simon Laplace, commentant ses travaux en astronomie, estimait qu’il « n’avait pas besoin de cette hypothèse (celle de Dieu) ». En somme, la science permet l’émancipation matérielle et intellectuelle de l’homme et donc, de prime abord, l’éloigne de Dieu.

Ce qui échappe encore à la science
Face à cette affirmation, on fera valoir que la science ne peut pas tout expliquer, qu’il reste toujours un domaine échappant à la quantification et à l’empirisme : les sentiments, les émotions, l’amour. Certes, la science ne décrit pas tout. Elle n’explique peut-être pas encore tout, mais elle progresse : la « frontière » du domaine de la science, s’il en est une, ne cesse de reculer.

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Par exemple, le sentiment amoureux est de mieux en mieux décrit comme un phénomène neurologique et hormonal complexe procédant de processus biochimiques que la science à l’époque de Pasteur ignorait entièrement. Demain, expliquera-t-on ainsi la pensée, la conscience, la foi ? Pour autant qu’il s’agisse de comprendre leurs principes physiques – d’expliquer le « comment » –, la science ne peut-elle pas prétendre décrire tous les phénomènes de la nature ?

Le génie de l’horloger
Dès lors, comment « beaucoup de science » ramène-t-il à Dieu ? La démarche expérimentale de la science révèle à l’homme l’harmonie, le raffinement, la beauté de la nature, et nous fait douter, avec Voltaire, « qu’il n’y ait pas d’horloger de cette horloge ». Toutefois, pour voir le signe du Dieu créateur, nul besoin de science : se promener sous le ciel étoilé suffit.

Cependant, au-delà de la contemplation, l’activité scientifique plonge l’homme au cœur de la création, là où le génie de l’horloger se manifeste. Les découvertes de la biologie faites depuis Pasteur abondent en signes frappants : le code génétique, la structure en hélice de l’ADN, la régulation hormonale, les équilibres complexes entre les espèces dans les écosystèmes.

La science émancipatrice spirituelle
L’interprétation de ces signes comme étant l’œuvre de Dieu est un acte libre : celui de la foi. Toutefois, ces signes restent de l’ordre du matériel, de l’utilitaire. Comment « beaucoup de science » ramène-t-il à Dieu spirituellement, comment établit-il une relation entre Dieu et l’homme ? Historiquement, le progrès de la science a remis en cause la lecture littérale des Écritures saintes. Ainsi les croyants ont-ils pu élever leur lecture pour accéder au message spirituel de ces textes avec plus de clarté.

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L’enseignement des textes a aussi gagné en profondeur et, sans doute, en fidélité. En quelque sorte, la science a contribué à séparer le message divin – l’enseignement salutaire – de son support – le récit. En ce sens, la science permet aussi l’émancipation spirituelle de l’homme. Par exemple, dans le récit de la Genèse, Adam et Ève se comprennent comme les premiers hommes non pas au sens biologique d’ancêtres communs, mais au sens spirituel : ils portent la marque du péché dont tous les hommes héritent.

Des mystères demeurent
Cette façon de penser le dialogue entre science et récits bibliques, amorcée par le théologien allemand Rudolf Bultmann, peut paraître évidente à nos esprits modernes. Elle constitua, en fait, une avancée majeure de la théologie ayant eu lieu postérieurement à la vie de Pasteur. Naturellement, cette conception approfondit l’interprétation des signes de Dieu comme créateur, en accentuant la dimension spirituelle de la création qui se cache entre les lignes du récit de la Genèse : celle de l’acte de la création comme don à l’homme. Enfin, le fait que la science guide la lecture des récits vers leur contenu spirituel n’empêche pas de croire aux manifestations de Dieu dans le monde matériel réel, ni même aux manifestations surnaturelles que sont les miracles.

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Par ailleurs, il y aura toujours matière à nourrir ce dialogue entre connaissances scientifiques et récits inspirés, car notre compréhension des phénomènes physiques ne sera jamais parfaite. En conséquence, un récit biblique paraissant concorder avec une explication scientifique aujourd’hui pourrait ne plus concorder du tout demain. Cette précaution est indispensable en ce qui concerne les phénomènes à la frontière de la connaissance, tels que les premiers instants de l’Univers.

La recherche scientifique, une démarche spirituelle
Enfin, il y a une dernière façon dont la science ramène à Dieu. J’ai mentionné les phénomènes biochimiques qui, d’après les recherches récentes, fourniraient les rouages internes du corps dans les émotions et dans l’exercice de la pensée. Or, la vie spirituelle est fondée sur cette capacité à sentir, à s’émouvoir, à penser : la foi, la joie, la charité, le recueillement et la prière prennent la forme d’émotions et de pensées qui sont orientées vers Dieu.

Au croyant, la science révèle donc l’ordonnancement de notre constitution physiologique à la quête de Dieu. Ce constat nous conduit, me semble-t-il, à conclure avec le grand Pasteur que « beaucoup de science » ramène à Dieu. Pour le scientifique croyant, l’objet d’étude est l’œuvre de Dieu, et l’activité de recherche est aussi une démarche spirituelle.

(1) Francis Bacon : Meditationes sacrae (1597), X, « De Atheismo ».